Chapitre premier: texte de Cervantès abrégé
Chapitre premier: qui traite du caractère et des occupations du fameux et
vaillant hidalgo don Quichotte de la Manche
« Dans un village de la Manche dont je ne veux pas me rappeler le nom, vivait un hidalgo.
Il entretenait chez lui une gouvernante et une nièce.
Notre hidalgo approchait de la cinquantaine. Il était de constitution robuste, sec de corps, maigre de visage, très lève-tôt. Certains voudraient qu’il eût nom “Quichada”, ou “Quesada”. Mais cela importe peu pour notre histoire: il suffit que le récit ne s’écarte en rien de la vérité. Il faut donc savoir qu’à ses moments d’oisiveté, c’est-à-dire tout le temps ou presque, il s’adonnait à la lecture de livres de chevalerie avec tant de zèle et de plaisir qu’il en oublia la gestion de ses biens. Il passait ses nuits à les comprendre et à en extirper un sens que n’eût compris Aristote lui-même.
En somme il s’empêtra dans sa lecture jusqu’à passer toutes ses nuits à la clarté de la lampe, tous ses jours dans le brouillard; ainsi, à force de dormir peu et de lire beaucoup, son cerveau se dessécha, de sorte qu’il finit par perdre la raison. Sa fantaisie s’emplit de tout ce qu’il lisait dans les livres, enchantements et querelles, batailles, défis, blessures, plaintes, amours, tourments et extravagances impossibles, et il les retint si bien en imaginant que tout cet échafaudage de fameuses faramineuses inventions qu’il lisait était
vrai, que pour lui il n’était pas d’histoire plus véridique au monde.
Et c’est ainsi que, son jugement bien mort, il finit par tomber sur la plus extraordinaire idée qu’eut jamais fou au monde: ce fut qu’il trouva convenable et nécessaire, tant pour s’acquérir plus d’honneur que pour servir l’intérêt public, de se faire chevalier errant.[…] défaire toute espèce de torts et se mettre dans des situations et dangers qui lui rapportassent après : succès, renom et gloire éternelle.
Ce qu’il fit d’abord, ce fut de nettoyer des armes qui avaient appartenu à ses aïeux et qui, attaquées par la rouille, étaient oubliées depuis de nombreux siècles dans un coin. Il les nettoya et les redressa du mieux qu’il put. Mais il vit qu’il y manquait quelque chose d’important: il n’y avait pas de casque mais un simple morion. Son industrie y suppléa: avec des cartons il fabriqua une espèce de moitié de casque qu’il encastra dans le morion, ce qui donnait une manière de casque complet. Il faut reconnaître que pour vérifier s’il était solide et à l’épreuve d’un coup de taille, il tira son épée et frappa deux fois: dès la première, il défit en un instant ce qu’il avait mis une semaine à faire.
Il entreprit de le refaire en ajoutant quelques pièces de fer à l’intérieur, tant et si bien qu’il se trouva satisfait de sa robustesse, et sans plus vouloir renouveler l’épreuve, il le jugea et le réputa pour casque parfait et complet.
Ensuite il alla voir son roussin, il estima que le bucéphale d’Alexandre ne pouvait l’égaler. Il passa 4 jours à imaginer le nom qu’il lui donnerait, car comme il se le disait, il n’était pas raison que le cheval d’un chevalier si fameux, n’eut pas de nom connu. Il changea aussi de nom et en acquît un fameux et bien sonnant, comme il convenait à la nouvelle occupation qu’il professait maintenant. Et, c’est ainsi qu’après bien des noms qu’il forma, effaça, abandonna, ajouta, défit et refit dans son imagination, il en vint finalement à l’appeler Rossinante, nom qu’il trouvait sonore et indicatif de ce qu’il avait été lorsqu’il était roussin antérieurement à ce qu’il était maintenant qu’il supplante tous les roussins du monde.
Il voulut s’en donner un à lui-même et passa encore huit jours à y réfléchir, au bout desquels il finit par se nommer don Quichotte. Mais se souvenant que le valeureux Amadis, sans se satisfaire de s’appeler Amadis tout court, avait ajouter le nom de son royaume et de sa patrie pour la rendre illustre, il voulut lui aussi, en bon chevalier, ajouter au sien celui de la sienne et s’appeler Don Quichotte de la Manche.
Les armes nettoyées, le morion fait casque, le roussin baptisé et lui-même par lui-même confirmé, il se persuada qu’il ne lui restait plus qu’à chercher une dame de qui tomber amoureux, car le chevalier errant sans amour était arbre sans feuilles ni fruits, corps sans âme. Voici ce qu’il en fut, d’après ce qu’on croit: il y avait dans un village proche du sien une jeune paysanne d’aspect très agréable, et lui-même en avait été un temps amoureux, même si on croit savoir qu’elle n’en eut jamais connaissance et ne s’en aperçut pas du tout. Elle s’appelait Aldonza Lorenzo, et c’est à elle qu’il trouva bon de donner le titre de Dame de ses pensées; et cherchant un nom qui ne dérogeât point au sien et regardât et tendît vers un nom de princesse, il l’appela finalement Dulcinée du Toboso, parce qu’elle était née au Toboso: nom qu’il trouvait musical, étrange et expressif, comme tous ceux qu’il avait déjà donnés à lui-même et à ses choses. »
vocabulaire:
hidalgo: gentilhomme espagnol de petite noblesse
morion:
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d’après la traduction de Jean-Raymond Fanlo
illustration de Gustave Doré (Son imagination se remplit de tout ce qu’il avait lu.)
(dQ nettoie son armure et ses armes Gustave Doré)
petit résumé du chapitre premier de Cervantès:
(Namaury,Ethan,Mélynna ,MaxenceP)
« Dans un village de la Manche dont je ne veux pas me rappeler le nom, vivait un
hidalgo.[…]Il entretenait chez lui une gouvernante et une nièce. Notre hidalgo
approchait de la cinquantaine. Il faut […] savoir qu’[…]il s’adonnait à la
lecture de livres de chevalerie avec tant de zèle et de plaisir qu’il en oublia
la gestion de ses biens.[…]il finit par tomber sur la plus extraordinaire idée
qu’eut jamais fou au monde: ce fut qu’il trouva convenable et nécessaire[…]de se
faire chevalier errant[…].Les armes nettoyées, le morion fait casque, le roussin
baptisé et lui-même par lui-même confirmé, il se persuada qu’il ne lui restait
plus qu’à chercher une dame de qui tomber amoureux, car le chevalier errant sans
amour était arbre sans feuilles ni fruits, corps sans âme.[…] »